français.
Dubuffet naît au Havre, fils unique d’un important négociant en vins, Georges Dubuffet.
L'oeuvre de Dubuffet est constituée de milliers de peintures, dessins, sculptures qui s'étendent de
, soit sur une période de 43 ans. Prolifique et protéiforme, elle comprend de nombreuses périodes et styles différents, allant de la plus pure abstraction « matiérique » à des scènes pittoresques ressemblant aux dessins d'enfants, en passant par des collages de toutes sortes.
La fascination de Dubuffet pour la production picturale des malades mentaux, des prisonniers et des enfants l'amènera à développer un art dégagé de la sécheresse des codes bourgeois et de l’intellectualisme. Son travail et ses analyses se réclament souvent d'un art primitif, populaire ou enfantin : « Je suis un peintre du dimanche pour qui tous les jours sont des dimanche », déclarait-il.
Des figures et des corps maltraités
Dès les débuts, Dubuffet semble faire table rase de tout savoir-faire. Marqués par les graffitis et les dessins d’enfants, on trouve beaucoup de portraits et de personnages traités de manière naïve ou grotesque. Volontairement malhabiles, ils sont peints de manière frontale, sans perspective. Parfois incisés dans la matière même du tableau, ils semblent en surgir, comme dans la série des
Corps de Dames (
1950-
1951) qui fait la transition avec la partie totalement abstraite, matiérique, de la production de Dubuffet. Dans les
Années 1970, Dubuffet reviendra aux figures de personnages enfantins, dessinées de manière plus précises, aux traits épais, intégrés dans des assemblages (
Théâtres de Mémoire) ou des compositions aux couleurs vives exécutées de manière spontanée et violente (
Psycho-sites et
Sites Aléatoires (
1981-
1982)).
Abstractions
Dans une volonté de dépersonnalisation, Dubuffet fait une plongée dans la matière et l’abstraction totale entre
1957 et
1960, avec des séries comme les
Célébrations du Sol ou les
Matériologies qui le relieront à l’
Art informel. Dubuffet utilise alors des techniques mixtes de peinture à l'huile épaissie avec des matériaux comme le
Sable, le
Goudron et la
Paille, donnant à ses pièces une surface exceptionnellement texturisée et une consistance rugueuse. Bien que l’
Hourloupe puisse être considérée en grande partie comme étant abstraite, Dubuffet ne reviendra à l’abstraction totale qu’à la fin de sa vie, avec les séries des
Mires et des
Non-Lieux (
1983-
1984).
Collages
Tout au long de sa pratique picturale, Dubuffet pratiqua le collage d’éléments divers, des ailes de papillon (
1953-
1955) aux fragments de papiers peints, découpés puis réassemblés dans les
Théâtres de Mémoire (
1975-
1979).
L’Hourloupe
C’est l’ensemble le plus connu et le plus spectaculaire de l’oeuvre de Dubuffet.
Dès 1962, il fait des séries de dessins au stylo, de manière un peu automatique, débutant ainsi le cycle de l’Hourloupe, son plus long, qui durera jusqu’en 1974. Les créations de l’Hourloupe se caractérisent par des aplats rouges, bleus, blancs et noirs. Le nom est le titre d'un livre contenant des dessins au crayon à bille. Avec l’Hourloupe, il prend le contre-pied de ses oeuvres antérieures, faisant disparaître toute texture pour une quadrichromie largement cloisonnée, avec hachures et aplats, qu'il décline en tableaux, sculptures et vastes installations.
Dubuffet abandonne alors la peinture à l’huile et les matériaux naturels pour les peintures vinyliques et les markers et, à partir de 1966, afin de passer à de grandes réalisations en volume, il apprend à maîtriser le Polystyrène, le Polyester, l’époxy, le béton projeté et les peintures polyuréthane. Essentiellement abstraite, cette vaste prolifération systématique peut former ici des objets, là des plantes, ou encore même des personnages pouvant se mouvoir et interagir dans sa création Coucou Bazar (1973), conçue pour ses deux rétrospectives à New York et à Paris.
Dubuffet et l'Art Brut
Dubuffet a inventé le terme
Art brut (dont il a « déposé » le brevet) pour désigner l’art produit par des non-professionnels travaillant en dehors des normes esthétiques convenues, restés à l’écart du milieu artistique, ou ayant subi une rupture sociale et psychologique suffisamment forte pour qu'ils se retrouvent totalement isolés et se mettent à créer.
L’histoire de l'Art brut est intimement liée à la vie de Dubuffet, et c'est avant tout l’histoire d’un collectionneur et d'un amateur passionné.
Prémices et découvertes
Cette histoire commence en
1923, lorsque Dubuffet découvre les cahiers illustrés de Clémentine Ripoche, visionnaire démente qui dessine et interprète la configuration des nuages, et que peu de temps après,
Paul Budry, son colocataire, lui offre le désormais célèbre « Bildnerei der Geisteskranken » (Expressions de la folie) d’
Hans Prinzhorn, paru l’année précédente à
Berlin, et qui porte un intérêt esthétique à la production des oeuvres de « fous ».
La vie reprend ses droits, puis, en 1945, tout s’accélère, et Dubuffet, dégagé de ses obligations mais avec quelques sous en poche, peut alors se lancer pleinement dans la prospection et l’achat d’oeuvres de créateurs « vierges ». Accompagné de Jean Paulhan et de Le Corbusier, il se rend d’abord en Suisse sur l’invitation de Paul Budry, à l’hôpital psychiatrique de la Waldau de Berne. Il y découvre les travaux d’Adolf Wölfli et Heinrich-Anton Müller, rencontre Walter Morgenthaler[#] (le biographe et psychiatre de Wölfli). À Lausanne, ce sont les travaux de Louis Soutter et Marguerite Burnat-Provins qui l’enthousiasment. Dans une lettre à René Auberjonois, Dubuffet emploie pour la première fois le terme d’art brut. Il se rend à l’asile de Rodez rencontrer le Dr Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud, qui montre à Dubuffet des oeuvres de Guillaume Pujolle et Auguste Forestier, puis il retourne en Suisse visiter le « petit musée de la folie » du Dr Ladame.
En 1946, c’est la découverte d’Aloïse par le biais de Jacqueline Porret-Forel (biographe et docteur d’Aloïse) qui est alors à Paris, puis de Joseph Crépin lors de sa 2e exposition à la Galerie Lefranc. Dubuffet entre également en relation épistolaire avec Gaston Chaissac (dont Jean Paulhan lui a montré quelques lettres). Les deux hommes se rencontrent l’année suivante lors de l’exposition Chaissac à la galerie L’Arc-en-Ciel, dont Dubuffet écrit la préface.
Paris : Le Foyer puis la Compagnie de l'Art brut
Le 15 novembre
1947 a lieu l'ouverture du Foyer de l’Art brut, à travers une première exposition qui se déroule dans les sous-sols de la Galerie Drouin (
Michel Tapié en assure la permanence). C’est l’occasion de la rencontre avec
André Breton, qui achète des oeuvres de Crépin. Rencontre extrêmement fructueuse puisque
Breton deviendra membre actif de la Compagnie de l’
Art brut, et fera découvrir à Dubuffet des artistes tels que
Augustin Lesage, Maisonneuve, Hector Hyppolite ou encore les dessins de
Scottie Wilson.
En 1948, le Foyer de l’Art brut déménage dans un pavillon prêté par les éditions Gallimard et devient la Compagnie de l’Art brut, association loi de 1901, dont les fondateurs sont Dubuffet, André Breton, Charles Ratton, Edmond Bomsel, Michel Tapié, Jean Paulhan et Henri-Pierre Roché. On compte parmi les adhérents des personnalités telles que Michaux, Malraux ou Levi-Strauss. Une exposition de Gironella est organisée, puis d’Aloïse, à qui Dubuffet va rendre visite en Suisse. Ce dernier va voir ensuite Chaissac chez lui, puis publie « l’art des fous, la clé des champs » dans le N°6 des Cahiers la Pléiade.
En 1949, une grande exposition collective est organisée à la galerie Drouin (avec 200 oeuvres et 63 auteurs), et Dubuffet signe « L’Art brut préféré aux arts culturels ». Découverte des mies de pain du Prisonnier de Bâle et exposition Wölfli.
L'épisode américain
À partir de
1951, le vent tourne vers les
États-Unis, où Dubuffet se rend souvent, a de nombreuses connaissances et jouit d’une bonne reconnaissance. De plus, les mauvais comptes de la Compagnie de l’
Art brut précipitent le départ des collections pour les
États-Unis (qui ne seront définitivement installées qu’en
1953), chez l’ami de Dubuffet
Alfonso Ossorio, dans son ranch de
Long Island. La Compagnie est dissoute,
André Breton démissionne. On recense alors 1 200 oeuvres d’environ cent auteurs. Dubuffet tient une conférence à la faculté des lettres de
Lille, « Honneur aux valeurs sauvages », et fait publier « Hippobosque au bocage » de
Gaston Chaissac, aux éditions
Gallimard. Après les collections en Amérique, enrichies d'artistes comme
Henry Darger ou Martin Ramirez, il s’ensuit une période un peu plus calme, ponctuée ici et là par quelques découvertes et expositions avec la complicité d’Alphonse Chave.
Retour à Paris
Jusqu’en
1962, où les collections reviennent à
Paris dans un immeuble de trois étages acheté rue de Sèvres, destinées à devenir centre d’étude et musée privé. La Compagnie de l’Art brut est reconstituée, Slavko Kopac en est nommé conservateur. Dans l’année qui suit, mille nouvelles pièces de 70 auteurs seront acquises. 390 dessins du Facteur Lonné
[#] seront achetés d’un coup, ainsi que la première toile d’
Augustin Lesage. Et dès
1964 paraissent les deux premiers fascicules de la Compagnie : dans le premier on trouve le prisonnier de Bâle, Clément, le Facteur Lonné et Palanc ; le deuxième est quant à lui entièrement dédié au texte de Morgenthaler sur
Adolf Wölfli. Ces publications se poursuivront de manière irrégulière jusqu’à nos jours, où vient de paraître le Fascicule N°22.
En 1967, se tient l’une des plus importantes expositions d’Art brut, au Musée des Arts décoratifs. On peut y voir une sélection de 700 oeuvres de 75 auteurs (sur les quelques 5 000 oeuvres que la Compagnie possède alors). Dubuffet en signe la préface, « Place à l’incivisme », et on dénombre pas moins de 20 000 visiteurs.
Lausanne et la Collection de l'Art brut
1971 est une date charnière pour les collections d’
Art brut. Dubuffet ayant décidé d’en faire don (ce qui amènera la dissolution définitive de la Compagnie de l’
Art brut), c’est finalement la ville de
Lausanne qui promet d’aménager un lieu pour y accueillir les oeuvres, revenant donc vers le pays où tout a commencé. Le Château de Beaulieu, hôtel particulier du XVIII
e] siècle, sera ce lieu où seront finalement transférées les oeuvres en
1975 et inaugurées le 26 février
1976 (et où elles sont toujours, sous l’appellation de Collection de l'art brut).
Michel Thévoz en sera le fidèle conservateur du début jusqu’en
2001. C’est en
1971 également qu’est rédigé un catalogue exhaustif de la collection, recensant 4 104 oeuvres de 135 auteurs d’
Art brut « pur », que Dubuffet doit distinguer pour des raisons éthiques et idéologiques d’une collection « annexe » (dite « Neuve Invention » en
1982) où les auteurs se rapprochent d’une démarche professionnelle, et où on recense alors 2 000 autres oeuvres.
Au-delà de Dubuffet
Dès
1971, Dubuffet rencontre
Alain Bourbonnais, architecte, créateur et surtout collectionneur passionné d'art populaire et marginal qui, sur les conseils de Dubuffet, appelle sa collection d’art « Hors les normes » et l’installe dans l’Atelier Jacob, rue Jacob, et qui deviendra
La Fabuloserie. Échappant à Dubuffet, son gardien et son théoricien, l’
Art brut commence alors sa « vie publique » et la formidable aventure qui l’amènera jusqu’à nous, à travers deux expositions majeures :
Les Singuliers de l’art en
1978, immense succès populaire, au Musée national d'Art moderne de la Ville de Paris (dont les commissaires sont Suzanne Pagé,
Alain Bourbonnais,
Michel Ragon et
Michel Thévoz) ; et
Outsiders en
1979 à
Londres, menée par Roger Cardinal, qui fera le pont avec l’Amérique et l'
Outsider Art, ouvrant les portes du Marché de l’Art international…
Citation
« L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle. » - Jean Dubuffet (1960)
Voir aussi
Sources
Bibliographie
- Catalogue des travaux de Jean Dubuffet - Fascicules I-XXXVIII, Paris,1965-1991
Consultables à la bibliothèque du Centre Pompidou / Beaubourg
- Sophie Webel, L’OEuvre gravé et les livres illustrés par Jean Dubuffet. Catalogue raisonné, Paris,1991
Ouvrages écrits par Jean Dubuffet
- Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, Paris
Tomes I et II : 1967. Tomes III et IV : 1995
- Asphyxiante culture, Jean-Jacques Pauvert éditeur, Paris,1968
- L’Homme du commun à l’ouvrage, Gallimard, Paris,1973
Collection Idées
- Bâtons rompus, Editions de Minuit, Paris,1986
Ouvrages sur Jean Dubuffet
- Michel Ragon, Dubuffet, Le Musée de Poche, Paris,1958
Réedition Fall, Paris, 1995
- Max Loreau, Jean Dubuffet - Délits, Déportements, Lieux de Haut Jeu, Weber Editeur, Lausanne,1971
- Gaëtan Picon, Le travail de Jean Dubuffet, Skira, Genève,1973
- Andréas Franzke, Dubuffet, Gallimard, Paris,1975
- Marcel Paquet, Jean Dubuffet, Casterman, Paris,1993
- Michel Thévoz, Dubuffet, Skira, Genève,1986
- Laurent Danchin, Jean Dubuffet, Terrail, Paris,2001
- Laurent Danchin, Jean Dubuffet. Peintre Philosophe, Editions de l'Amateur, 2001, (1re édition La Manufacture 1988).
Articles connexes
Liens externes